Compagnie Stéphane, détachée du secteur 6 - Unité de la plus haute valeur militaire, parfaitement adaptée à la technique de guérilla, a été maintenue constamment sur la brèche depuis le 6 juin. Engagée presque chaque jour, a réussi entre autre une brillante opération sur le plateau d'Uriage, ramenant douze prisonniers, de nombreuses embuscades couronnées de succès, l'attaque d'un gros convoi auto sur la route de Laffrey, et une action sur le fort de la Bastille qu'elle a conduite jusqu'aux abords de la plate-forme, tuant et blessant au champ de tir plus de quinze Allemands.

Ardente, étroitement serrée autour de son chef, cette Compagnie est une des plus belles des Alpes.

En 1943, de nombreux Maquis grossis par l'apport massif des réfractaires au Travail Obligatoire en Allemagne subissent l'épreuve du feu soit de la part des GMH et des miliciens, soit directement des troupes italiennes ou allemandes. La propagande pétainiste n'avait pas manqué de minimiser les actions, les ramenant toujours à des nettoyages de groupes de terroristes relevant davantage des tribunaux que d'un idéal politique. Découragés, affamés, tentés par l'armistice offerte par Vichy, beaucoup de jeunes quittent le maquis. La foi d' « Evreux », patron des Maquis de l'Isère, est d'une autre trempe. Inlassable, il organise ravitaillement, habillement, transports, financement, liaisons, avec l'aide d'une équipe dévouée. Lorsque le Lieutenant Etienne Poitau franchit le pas de l'illégalité, ce ne fut certainement pas sur un coup de tête irréfléchi. Il lui a fallu beaucoup de courage filial et un sens patriotique aigu pour rompre avec son milieu familial dijonnais. En effet, son éducation bourgeoise ne devait pas dynamiser son projet intérieur : passer de la zone occupée en zone libre, certes mais alors... que ce ne soit qu'une étape vers l'Angleterre, l'Afrique, et non pas une fin en soi, c'est-à-dire rejoindre le lot des hors-la-loi !

Un an d'essais en Auvergne et ailleurs, un an d'échecs. D'un Maquis de Belledonne où, comme instructeur, il est mis à la porte au bout d'un mois parce que trop dur, Evreux l'envoie au-dessus de Bourg-d'Oisans au Camp de Villard-Notre-Dame. Le 10 novembre 1943, c'est là qu'il trouve une douzaine de jeunes, reste du Camp Audo, et le grand jeune homme blond en « short » se propose de prendre la tête d'un groupe de volontaires pour former une petite unité très entrainée militairement et apte à passer à une action offensive contre l'ennemi quand le moment sera venu ; le style de vie sera très dur, il faudra se transformer non pas en groupe de gens traqués, en gibier, mais en soldats actifs et mordants... en chasseurs. Le camp repéré par les Allemands doit être évacué : deux étudiants parisiens, un paysan de l'Oise, un cuisinier de métier, un jeune de l'Assistance et deux communistes allemands décident de le suivre.

Après une journée de vains essais pour franchir la montagne trop enneigée, une nuit de marche en quinze heures les amène par le Col d'Ornon au Désert en Valjouffrey dans une maison abandonnée à la lisière supérieure du village. Le soir même, après avoir terminé leur installation et les corvées de bois et de nourriture, Etienne Poitau prend la parole : L'Armée d'Afrique, l'Armée française a repris la lutte aux côtés des Alliés. Le Commandement nous demande de préparer le débarquement en France en attaquant les troupes allemandes. En fait, nous sommes une troupe de choc déjà en France au lieu d'y être parachutée.

Si vous êtes volontaires, vous signez un engagement pour la durée de la guerre, tout comme dans une unité mobilisée en Afrique : mêmes droits, mêmes devoirs. Commence l'entrainement physique et à la guérilla : combat rapproché pour l'agressivité, courses en montagne pour l'endurance, l'étude de l'armement, topographie, orientation... jour après jour dans la neige avec des chaussures " usage ville " et des pantalons de toile pris aux Chantiers de Jeunesse. Premier camp et début de la Compagnie... ETIENNE POITAU devient - STEPHANE

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En décembre, l'agent de liaison Edmond Gallais,  « Ali » est pris dans une rafle à Grenoble. Déporté, le pauvre garçon disparut sans que jamais sa trace fût retrouvée. Trop éloignée des objectifs, cette région de haute montagne n'offrait pourtant qu'une sécurité illusoire, car le défaut d'équipement et la sous-alimentation interdisaient le franchissement des cols. Aussi, début janvier 44, individuellement, le groupe, enrichi de deux recrues, se porte en Chartreuse, au Pas de l'Aronde, à proximité de la ferme des Raynauds où il absorbe cinq jeunes réfractaires au S.T.O. déjà sur place. Immédiatement, l'action contre l'occupant revêt un aspect positif : sabotages de la voie ferrée, coups de main, lutte contre les collaborateurs actifs, réception de deux agents de renseignements parachutés avec du matériel au Mollard de la Chaleur, près du Plateau d'Hurtières, par un mètre cinquante de neige. Car le petit groupe de seize volontaires est déjà mieux armé, mieux équipé, chaussé et nourri. Le drame de Malleval en Vercors, dont il récupère le seul survivant, ses récits hallucinants, l'affaire tragique des Glières, renforcent la méfiance instinctive de « Stéphane » à l'égard des réduits présumés imprenables des Préalpes calcaires : de vraies souricières. En février 44, ordre de gagner la Combe de Belledonne qui, avec ses 50 km de long, en surplomb de la Vallée du Grésivaudan, ses massifs forestiers, ses ressources nombreuses notamment alimentaires, ses cols permettant une dispersion et assurant la sécurité des hommes en cas d'attaque massive. Après vingt heures de marche dans la neige, en évitant toute rencontre, arrivée au Ponta, puis ensuite au Bois des Combes au-dessus des Adrets. Le groupe franc absorbe les éléments du Lieutenant Max qui occupe le chalet. C'est là que la Compagnie grandira et c'est de là qu'elle rayonnera.

L'éclaireur de tête "Lavergne" d'un groupe se rendant en embuscade dans la vallée du Grésivaudan

Dans l'aire de concentration d' « Evreux » où « Vauban » prend le commandement du Secteur 6 - Grésivaudan, « Stéphane » réfléchit à l'esprit militaire de la Résistance : c'est une action de force, une guerre, se dit-il, mais y appliquer les règles de la guerre classique conduit au désastre. Ayant parfaitement compris d'entrée de jeu, ce que devait être la guérilla, il met en pratique certains principes basés sur une discipline très stricte et adaptée aux circonstances ; ce qui permettra à sa Compagnie d'être parfaitement efficace tant par l'importance des dégâts infligés à l'ennemi que par les faibles pertes qu'elle a elle-même subies.

 « Stéphane » répétait souvent la formule de Lyautey : « La sueur épargne le sang », qu'il complétait du reste par une des siennes : « Pour faire la guerre, apprenez votre métier. Il ne faut pas y laisser sa peau. Vingt ans sont nécessaires pour faire un homme et cela n'a pas de prix ». Il commence donc le long processus d'intégration interne et externe qui produit très vite ses fruits. Les jeunes qui « montent au maquis » sont volontairement admis en nombre limité, ensuite par petites doses, afin d'assurer au mieux les phénomènes d'osmose. Les types d'hommes, les âges (de seize à quarante-cinq ans mais en majorité de moins de vingt-deux ans), les nationalités, les métiers présentent une grande diversité. La sélection est sévère. Il veille personnellement à un entrainement intensif et varié de chacun de ses hommes : assauts silencieux de nuit pieds nus, attaques de sentinelles, exercices de tir en haute montagne en essayant toujours de respecter le principe « un homme, une balle », combats simulés à tirs réels ; même les grades précédents sont remis en cause, les chefs de section et les chefs de groupe doivent continuellement démontrer leurs aptitudes au commandement et au combat. Il rétrograde parfois au groupe « des cloches » et ravale aux tâches subalternes ou dangereuses — selon le cas — ceux qu'il faut punir d'une faute vénielle. Dès l'apparition des premières plaques déneigées, en avril, tout le monde quitte granges et chalets pour bivouaquer en pleine forêt par groupes de huit à douze hommes.

Saint EynardLe volontaire "Boum" (Gilbert Bourgeat) observe les pentes du Mont Jalla et les mouvements de troupe au fort Rabot en vue d'une prochaine attaqueUn groupe en grande discussion avant de se retirer sous sa toile de tenteInstruction sur le fusil-mitrailleur par Angelo Brunatto (G.F. mort au combat le 21 août 1944 à Villard-Bonnot) aux volontaires "Guillou", "Rolland" et "Georges"Les "Gais lurons" du 7ieme groupe : "Boum" "Zephir" "jo" "RIP" et "Harrold" au moment du repas"Tony" (Paul Rossi) prend grand soin de son F.M. titulaire de la croix de guerre de 39-45, deux pour faits de résistance, deux pour des opérations en italie en 1945, Médaille Militaire, chevalier dans l'ordre national de la Légion d'HonneurProtection du Groupe Par "Guillou" (Maurice de la Gueronnière) une avalanche l'emporta en 1945 dans le secteur Termignon-Lanslebourg.Le Capitaine Stéphane explique sa théorie sur la "Guérilla en montagne" par groupes autonomes de 2 patrouilles équipées chacune d'un fusil-mitrailleur. Le groupe est l'unité de vie et de combat.

Vivre, manger, dormir dehors, tous dans les mêmes conditions (les corvées, la cuisine sont faites à tour de rôle, chefs compris). Tout camp repéré, même par un bûcheron ou un braconnier ami est déplacé à deux heures de marche au moins. La troupe de guérilla doit se tenir à l'écart des lieux habités et s'interdire tout contact avec les civils. Elle échappe aux opérations de nettoyage par la dispersion, le camouflage total, la disparition dans la nature défiant tout ratissage. C'est la première chose à apprendre pour survivre. Ainsi se forge, sans l'ankylose de traînards, cohérente, soudée, jamais inattentive, la troupe qui va pratiquer « la marche silencieuse », l'attaque sans parole, l'alerte au geste, au doigt, à l'oeil, que « Stéphane » entretient dans un qui-vive perpétuel. Lui-même paie de sa personne, toujours le premier levé, toujours le dernier couché, faisant la « tambouille » à son tour, portant son sac comme tout un chacun et méprisant ses propres courbatures. Il parait infatigable, pourtant, son grand corps musclé a ses misères cachées : les restes d'une sinusite laissée par un accident à l'entrée à St-Cyr, les séquelles douloureuses de gelures aux pieds pendant l'hiver 1940, une dysenterie amibienne contractée au Maroc.

La préparation du repas : la corvée de pluchesLE 9ème groupe à l'heure du repas : Baptiste et Georges (debouts en face), Paquito (debout de dos), Boum Flamand et Cousin (assis), Harrold (au fond à droite)Le 7ème groupe se restaure. De gauche à droite : Paquito, Cousin (assis), Mic, Harrold, Boum (de face), Jo, Franz (avec béret)Le repas du midi était pour le Capitaine STEPHANE l'occasion de vivre chaque jour un moment d'échange avec un groupe différent. Stéphane (assis)), le lieutenant Maurice (à droite), Dubus (debout au fond), Bruno (au 1er plan penché en avant) et Jean-Jacques (de dos)Le volontaire admis à la compagnie , reconnu apte physiquement et moralement, signe son engagement pour la durée de la guerre

Le 2 mai, le Chef départemental « Sylvain » — Commandant De Reyniès — inspecte au Col des Mouilles les différents groupes constitués en Compagnie. Hélas, sa dernière visite, dénoncé, torturé, refusant de parler, il meurt le 6 mai dans les griffes de la Gestapo.

Le 11 mai, premier rassemblement, près des Adrets, des Compagnies Bernard et Stéphane et des G.F. Dax et Henry. Collation des grades par « Vauban » qui scelle définitivement le caractère militaire des formations et de ses services du Secteur VI. La Section Pitche de la Compagnie Bernard est mise provisoirement à la disposition de « Stéphane » : elle ne quittera plus la Compagnie, les éléments qui la composent dont cinq Slovènes déserteurs de la Wechmacht seront d'un atout précieux pour les opérations futures, qui se voit attribuer un secteur s'étendant de Froges - Les Adrets jusqu'à la Vallée d'Uriage. Le rythme de l'entraînement s'accélère de concert avec les autres unités A.S. et d'éléments F.T.P. : embuscades et coups de mains aussi bien dans la vallée que dans les lieux où peuvent être récupérés des vêtements, des armes, des munitions, car les parachutages dans le Grésivaudan furent négligeables. Le Capitaine Stéphane tient ce langage : « Hors des larges vallées, la supériorité de l'ennemi n'existe plus. C'est nous qui lui sommes supérieurs à condition d'avoir du souffle, des jambes et une parfaite connaissance de la montagne », et les hommes arrivent à connaître mieux Belledonne que les gens de la région.

 

Le 3 juin, la Compagnie fait mouvement sur Les Seiglières (entre St-Martin-d'Uriage et Revel). Les chefs de section venus voir « Stéphane », immobilisé par une plaie infectée, tombent au retour dans une vaste opération de la Milice déclenchée là par hasard. L'Adjudant Pitche, ses lunettes brisées, et le volontaire « Tout Petit », revenant du médecin, sont faits prisonniers. Au camp, un certain flottement se produit et la Compagnie se disperse de nuit par groupes. Le lendemain matin, elle rallie Le Freynet —point fixé en cas de catastrophe — au complet. Mais les maquis voisins, au nord Theys, au sud le Recoin de Chamrousse, sont attaqués par les Allemands et les Miliciens. Les groupes sont découplés pour attaquer de flanc les colonnes ennemies, aider et recueillir les maquisards. Ils arriveront après le repli des assaillants et sillonneront les flancs de la montagne pendant plus de vingt heures. Retour au Freynet, des vagues d'avions passent au-dessus du camp, donnant une impression de force qui enthousiasme les plus exténués.

Nous sommes le 5. Le soir les messages convenus donnent le signal de déclenchement des sabotages et de la guérilla - Les sanglots longs des violons de l'automne... ». Le 6 juin, le débarquement allié en Normandie est annoncé. Le moment est venu pour « Stéphane » de montrer l'exactitude de ses affirmations. Pour la première .opération importante, il voulait un « succès indiscutable ». Il choisit comme objectif le Centre-Ecole de la Milice à St-Martin-d'Uriage, installé dans le Château à proxi-mité d'un cantonnement allemand disposant d'un effectif sept fois supérieur à la Compagnie. Des camions emmènent de St-Mury à Revel par la route des cols toute la Compagnie qui compte alors 136 hommes en neuf groupes francs de chacun deux patrouilles pouvant opérer seules ou l'une couvrant l'autre. L'armement disparate est néanmoins bon.

« Le Groupe est l'unité de vie et de combat. » Les patrouilles et embuscades dressées dans les nuits des 7, 8 et 9 juin entre Uriage, Gières et Domène, restent vaines : pas de circulation ennemie la nuit, il faut attaquer. Ayant fixé le dispositif de combat et indiqué à chaque groupe sa mission, « Stéphane » répète à chacun : « N'oubliez pas que la seule chose qui compte c'est le rendement, le succès aux moindres frais ».

Le 9 juin à la nuit, deux sections encerclent le village pour assurer la protection face à la garnison allemande. Les trois groupes restants convergent vers la mairie, où se trouve le poste de garde. Une patrouille de miliciens donne l'alerte et tire à balles traçantes. « Ne tirez pas, nous sommes des amis » crient en allemand les Yougoslaves du 6e Groupe (Sergent Geo l'Alsacien) et se ruent à l'assaut car les miliciens surpris ont suspendu leurs tirs. Fouille du village dans les maisons soigneusement repérées qu'habitent les miliciens. Tous les ordres, commandements, sommations sont faits en allemand. La destruction de la villa du Chef Giaume est suspendue à cause de la présence de sa femme et de ses enfants. Le Chef Benezit refuse de se rendre ; il est abattu au moment où il tirait avec sa mitraillette. Un autre est blessé mortellement. Les miliciens du Château se sont barricadés avec femmes et enfants. Avant le jour, repli de tous les hommes dans la forêt avec un blessé, le volontaire Kléber, par un éclat de grenade dans le genou, deux Chefs et huit miliciens prisonniers, de nombreuses armes récupérées avec leurs munitions... Treize cartouches ont été consommées. Respectueux des conventions de Genève, « Stéphane » interdit formellement de maltraiter les prisonniers et même de les injurier. Ils sont conduits et emprisonnés au Pré de l'Arc. Après la libération, entre deux combats, il se rendra au procès comme témoin à décharge pour ces soldats perdus et demande de les affecter à sa Compagnie. La haine et la vengeance menèrent ces hommes au poteau d'exécution. Vaincre, écrira plus tard Stéphane, ce n'est pas détruire mais convaincre, c'est transformer l'adversaire en auxiliaire et non en charogne. Un pays ravagé, les hommes massacrés, quelle défaite pour un vainqueur. »

L'élan est donné. Jusqu'au 16 juin, les groupes harcèlent Uriage et tendent jour et nuit des embuscades sur les routes du Grésivaudan. St-Nizier, dans le Vercors, est attaqué. Une action de diversion menée par la 3e Section sur le Rondeau, poste allemand au sud de Grenoble, ne peut être engagée par suite de l'arrivée d'une colonne rentrant du Vercors. L'armement trop léger ne permet pas d'attaques rentables contre un ennemi en garde.

Mimi Lerme Secretaire à la mairie de Domène et agent de liaison

Le 17 juin, le Chef départemental F.F.I. Bastide — Commandant Le Ray — donne l'ordre de rayonner dans toute l'Isère, d'attaquer convois et postes isolés, d'entraîner avec eux les autres maquis : en un mot, de propager la guérilla que la Compagnie est seule à pratiquer. Un mois durant, actions sur toutes les routes qui convergent vers Grenoble : embuscades dressées par un groupe contre des convois qui comportent jusqu'à quarante camions. C'est une période de pleine efficacité : l'ennemi subit des pertes répétées et importantes, il est retardé ; il se retranche dans Grenoble et rappelle ses postes isolés. Les groupes sont largement dispersés en Grésivaudan, Chartreuse, Matheysine, Cluse de Voreppe, et jusqu'aux portes de Grenoble. Certains travailleront isolément pendant le mois entier, ils disposent alors d'agents de renseignements et se ravitaillent eux-mêmes. Pas de schéma d'embuscade, l'ennemi est entraîné à la riposte. Chaque opération est pensée, étudiée, préparée par le Chef de Groupe en fonction des renseignements fournis par les Agents de liaison qui fourniront un travail considérable.

 Le 24 juin, entre La Salle et Corps, « Toubib », blessé grièvement, est évacué sous les feux des mitrailleuses ; abandonné par un paysan affolé auquel il est confié, il succombe à une hémorragie seul dans une grange ouverte à tout vent. C'est le premier mort de la Compagnie, qui sera suivi, le 29 à St-lsmier, de celle de « Dédé », blessé et achevé peu après par les Allemands ; le groupe ramènera au camp le corps de son Chef, alors que sa famille vient d'être prise comme otage par la Milice.

A la mi-juillet, devant le succès des embuscades, le Commandement demande de faire des prisonniers et de récupérer du matériel. Une embuscade mettant en jeu un effectif jusqu'alors jamais égalé : six groupes, 1er, 5e, 6e, 7e, 8e et 9e, une section de la Compagnie Bernard et l'appui des G.F. Henry et Petit-Louis, est montée à hauteur du Château de Miribel et du pont de Vorz, près de Brignoud. Sur la rive droite de l'Isère, d'habiles destructions par les groupes-francs de « Dax » interdisent tout mouvement important de véhicules. En amont et en aval, les agents de liaison — à l'aspect paisible sur leurs bicyclettes — transmettent aux partisans locaux les bruits à répandre : «  Nous sommes plus de cinq mille en Belledonne, renforcés par des parachutistes ; le massif est organisé, miné ; nous attaquerons Grenoble lors d'une alerte aérienne ».

Le 17 à l'aube, fausse alerte, une camionnette bourrée de civils se jette dans une embuscade : plusieurs blessés. Peu après, une voiture légère allemande s'arrête devant l'entrée du parc de Miribel. Un officier allemand en descend, entend le déclic du F.M. qui ne percute pas, bondit dans une sanitaire passant par là et s'échappe. Son chauffeur, blessé, est pris, et dévoile qu'une colonne de troupes de toutes sortes, évaluées à une division, arrive d'Italie et de Savoie pour l'attaque du Vercors, son officier venait préparer le cantonnement. L'ordre de décrochage est envoyé aux groupes, mais l'ennemi arrive, dix-huit camions s'arrêtent à Brignoud, mais il est interdit de tirer dans les lieux habités. Alertés par l'officier, les Allemands se déploient et attaquent, bien appuyés par les mitrailleuses, mortiers et l'artillerie, et ils se renforcent sans arrêt. Pendant plus de quatre heures, le combat se poursuit ; les positions sont menacées d'être tournées, ordre de repli est donné. « Pat » tombe en poussant une reconnaissance, et plusieurs blessés légers retardent le décrochage de certains groupes.

Quelques heures plus tard, le corps de « Pat » est ramené et le harcèlement reprend. Le 5e groupe encerclé profite de la nuit pour se dégager par l'Isère sur la rive droite, il rejoindra sans pertes. Le même jour, dans la Cluse de Voreppe, deux autres groupes maltraitent les convois ennemis. Au Col de la Croix Haute, le 2e groupe renforcé de huit F.T.P. bloque un convoi de midi à quinze heures, un blessé grave au mortier, « Bob » est évacué sur La Mure.

Protection du Groupe Par "Guillou" (Maurice de la Gueronnière) une avalanche l'emporta en 1945 dans le secteur Termignon-Lanslebourg.

Les 18 et 19 juillet, une nouvelle méthode est mise au point pour attaquer les colonnes ennemies qui défilent toujours sur la route. Sur 20 km de Brignoud à Gières, les patrouilles s'installent aux avancées de la forêt, tous les 2 ou 3 km entre les villages, oasis à l'abri du feu. L'ennemi harcelé se déploie, puis reprend le mouvement pour recommencer un peu plus loin, sa progression sur le Vercors est ainsi retardée.

Daniel épuisé

Le 13 juillet, le 2e groupe « Daniel » en embuscade sur la route de Monestier-de-Clermont, attaque un convoi de six camions d'environ deux cents hommes. Un coup de feu part prématurément, mettant le groupe en mauvaise posture. Seules, deux mines sur six sautent. Vingt ennemis mis hors de combat. Réactions violentes : un fermier tué, une ferme brûlée, protection par rideau de civils, envoi d'avions de bombardement.

Le 16 juillet seulement, on retrouve le corps déchiqueté d'« Aymard ». A côté se trouvent son sac et son assiette d'aluminium sur laquelle il a écrit de la pointe de son couteau : « Daniel, je te demande pardon. Le coup est parti sans que je vois le deuxième camion. Je ne pourrai pas surmonter mon erreur, aussi ma grenade sera mon tombeau. Au revoir, chers camarades ». Mais les populations de la vallée, terrifiées, demandent grâce.

Le volontaire admis à la compagnie,reconnu apte physiquement et moralement, signe son engagement pour la durée de la guerre

Le 21 juillet, ordre est reçu de cesser toute attaque. Pour la première fois, la Compagnie est rassemblée en entier, au Col des Mouilles dans la forêt de Belledonne et assimile les nouvelles recrues des dernières semaines : des scouts lyonnais, de nombreux de « Jeunesse et Montagne » avec leurs chefs. Le Vercors est investi, les effectifs allemands dépassent quinze mille hommes pour Grenoble. L'ordre est donné de créer une diversion en harcelant la ville sans compromettre la population. Cette mission parait à beaucoup une bravade inutile devant la réaction allemande puissante et supérieurement armée.

En une nuit, le 23 juillet, par des routes garanties momentanément libre grâce à un dispositif de surveillance, le Service Auto du Grésivaudan transporte la Compagnie en Chartreuse, au Col de Vence, avec armes et bagages. Reconnaissances par le 7e et le 9e groupes sur le St-Eynard, les Monts Rachais et Jallat, Pique-Pierre et renseignements sur les postes environnant Grenoble, partout des petits blockhaus mi-enterrés, mi-bétonnés, cerclés de barbelés. Une action sur son éperon sud, la Bastille, devrait inciter l'ennemi à se porter en camions aux Cols de Vence et de Clémencières, pour encercler et nettoyer toute cette zone.

Dans la nuit du 26 au 27, le dispositif est mis en place. Sur la crête, face au fort de la Bastille, la 2e Section, renforcée d'un mortier anglais, a poussé le 4e et le 5e groupes jusqu'à la limite des couverts, le 6e groupe en observation et protection au sud-ouest du Rachais. Les deux autres sections, une sur chaque flanc, montent de solides embuscades aux deux cols sur les arrières mais doivent aussi harceler les postes ennemis des portes de Grenoble (Pique-Pierre et St-Laurent) et retarder tout débordement sur une profondeur de 4 à 5 km.

A l'aube du 27, à l'ouest, au pont de Pique-Pierre, deux hommes du 9e groupe se glissent parmi les ouvriers et tuent, après sommations, les deux sentinelles allemandes et s'emparent de leurs armes. L'un d'eux, « Germain », a la main traversée par une balle. Le poste déclenche un tir violent, le groupe en position instable décroche et va se mettre en embuscade vers Lachal. Vers 10 h, une section allemande sort du fort et, à quelques mètres des hommes tapis dans les fourrés, commencent un exercice de tir à la cible. Après la première série, rassemblement devant les cibles, l'officier discute les résultats. Les 4e et 5e groupes ouvrent le feu de leurs six F.M., sans compter fusils et mortier. L'effet est surprenant. L'euphorie du succès détend les nerfs et diminue la vigilance, d'autant que l'ennemi, assez passif, tiraille sans conviction depuis le fort.

A 19 h 30, les guetteurs du flanc ouest voient se déployer plusieurs sections allemandes. Au lieu d'ouvrir le feu, ils veulent alerter sans bruit leurs camarades, mais l'assaut les devance. Les deux groupes restés face au fort sont submergés, pris à revers. Les Allemands et maquisards sont étroitement mêlés. Les premiers au coude à coude, se ruent à la grenade avec les rafales et hurlements habituels ; les nôtres, cachés entre les rochers et dans les buissons, silencieux, ne tirent qu'à coup sûr. Les éléments disponibles sont rameutés pour contre-attaquer, mais les feux du fort interdisent tout débouché. Le 6e groupe, à la demande du Capitaine Stéphane, tire au F.M. dans la mêlée : nécessité fait loi, et poursuit de ses rafales les Allemands qui s'enfuient jusqu'aux barbelés malgré l'appui que leur prodiguent armes lourdes et artillerie. La nuit tombe enfin, avec la pluie. La sécurité exige l'évacuation immédiate du Rachais si facile à encercler et à nettoyer, vu la pauvreté des moyens. Déjà a disparu l'effectif d'une section ; l'ennemi a le dessus malgré ses pertes. Des patrouilles sont lancées, le dispositif maintenu, renforcé sur les cols.

L'obscurité est peuplée de craquements, les nerfs sont à bout. Parfois s'élève un léger sifflement, signe de ralliement de la Compagnie. Un à un, les hommes de la 2e section rejoignent le camp. A 4 h, manque seul le Lieutenant « Fiancey », chef de section, blessé au bras et touché ensuite par une rafale de M.G. en pleine tête. Une patrouille va rechercher son corps.

Du 28 juillet au 5 août, des falaises du St-Eynard, les harcèlements du secteur se poursuivront avec des fortunes diverses. L'ennemi s'est protégé par des champs de mines, et ne sort plus, des guetteurs sont abattus, mais l'explosion du mortier déchiquète les deux servants « Lulu » et « Gégène » détachés de la Compagnie Bernard. Le 5 août, la Compagnie quitte le St-Eynard pour se rendre au Cirque de St-Même, à côté de St-Pierre-d'Entremont. Le Vercors est tombé, l'Oisans est investi le 10 août. Certains pensent qu'il serait sage d'abandonner une lutte aussi inégale. Les efforts se portent sur deux routes essentielles pour l'ennemi, la Nationale 85 à Voreppe et la Nationale 6 aux Echelles, quelques convois importants y circulent, appuyés par des unités motorisées et l'aviation.

Le 13 août à 13 h 30, au Tunnel des Echelles, la 1er Section arrête un convoi de quatorze camions arrivant de Chambéry : une vingtaine d'hommes tués, de nombreux blessés dont quatre faits prisonniers. Le Sergent « Champollion » et le volontaire « Tout Petit » tombent au cours de l'action.

A l'aube, la section décroche tandis que se déclenche l'attaque des unités d'intervention et assiste sur l'autre rive du Guiers, comme d'un balcon, à cette brillante manœuvre dans le vide. Le même jour, au Camp de St-Même, trois avions allemands, pris au début pour des américains, piquent et lâchent neuf bombes aux alentours et sur le chalet du C.A.F., tuant le volontaire « Jeannot » et blessant quatre maquisards dont le Docteur B., Médecin de la Compagnie. Au cours de la nuit, un groupe de G.M.R. de Chambéry avait été récupéré avec un important matériel : camions, fusils, vêtements.

Le débarquement du 16 août, en Provence, ranime l'espoir et le moral de la troupe. Le 17 août, la Compagnie Sapin et le 3° groupe attaquent au Fontanil la fin d'un convoi venant de Grenoble. La réaction ennemie est très vive : mortiers, mitrailleuses, canons de 25. Peu après, la tête du convoi est stoppée par le 4e groupe à la Poste de Voreppe.

Le 18 août, des Allemands venant de Voiron se mettent en position avec canons, sur la Poste de Voreppe, à 800 m de l'embuscade du 4e groupe. Arrive peu après un convoi de vingt-cinq camions (12 hommes contre 400). Le feu est ouvert, la position devient intenable et le décrochage difficile. Les 5e et 6e groupes engagés en renfort tombent sur la population civile qui fuit les représailles et leur annonce une attaque de la Chartreuse.

 Les 19 et 20 août, un important coup de main de la 3e Section sur le poste allemand du Pont de l'Isère à Montmélian ne peut être exécuté faute de coordination, un groupe de destruction ami donne malencontreusement l'éveil.

Le 21 août, instructions pour prendre et tenir Grenoble. Le lendemain, la 1er Section occupe la Bastille et le Fort Rabot, mais « Taupin » et «Zizi » sautent sur des mines. La 3e Section par le Col de Vence et la Fourche pénètre dans la ville évacuée dans la nuit par les Allemands et les collaborateurs, et rejoint la 2e Section à La Buisserate.

Grenoble est libérée, intacte avant l'arrivée des troupes alliées. Les hommes se lavent et se rééquipent à neuf ; le délire de la Libération ne les touche guère, le foisonnement subit de maquisards de tous genres les surprend un peu.

Mais une colonne allemande approche de Voreppe, la Compagnie se porte — bien en main — à son devant, des emplacements sont creusés, des obstacles édifiés. Il faut tenir pour épargner à la Ville des représailles type Vercors. Un grondement de moteurs, le claquement des chenilles, une clameur qui monte, se rapproche, les premiers chars américains débouchent après avoir traversé Grenoble. De Belledonne, des appels au secours parviennent. Pour échapper à l'encerclement, des éléments d'unités ennemies se sont jetés dans la montagne pour rejoindre la Maurienne et assassinent de jeunes montagnards sur leur passage.

La 1er Section ratisse le massif pendant près de trois jours. Le 24 août, un bataillon allemand, avec artillerie et génie, venant de Savoie, reprend la Vallée du Grésivaudan qui fête sa libération.

Depuis Uriage, la Compagnie est relancée sur les flancs et les arrières de la colonne, les avant-gardes américaines et toutes les unités du Grésivaudan s'y mettent pour arrêter l'ennemi à Gières. Les canons tonnent, les rafales se croisent en tous sens, mais on parlemente aussi. L'ennemi accepte de se rendre avant l'aube aux Américains. 

Récupération à Domène de l'armement du bataillon, des véhicules et des canons. Rassemblement général de la Compagnie à Grenoble, Caserne Hoche. Il faut ramener le calme dans les esprits, assurer l'ordre.

Le Commandant Vauban, Chef du Secteur du Grésivaudan, devient M. Reynier, Préfet de l'Isère. La Compagnie a perdu douze hommes et eu quatorze blessés graves, un agent de liaison déporté n'est pas rentré, les deux hommes pris par la milice, l'un s'est évadé et l'autre accomplira un périple peu ordinaire...

Pour chaque camarade tombé, dix cadavres ennemis ont été dénombrés. Vingt prisonniers ont été ramassés avant le 15 août, un effectif supérieur à celui de la Compagnie a été mis définitivement hors de combat. L'armement récupéré peut équiper un bataillon. L'ennemi a vu ses trains bloqués, ses convois arrêtés de longues heures ; il s'est cru assiégé et n'est plus sorti qu'en force pour de brèves opérations.

Le journal de marche de la Compagnie relate 69 opérations de guerre entre le 4 juin et le 24 août 44. MISSION ACCOMPLIE...

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Sur ordre du Chef départemental F.F.I., le Commandant Le Ray, mise sur pied du 1er Bataillon de Marche « Grésivaudan », dont le commandement est confié au Capitaine Poitau « Stéphane ». Sa Compagnie, devenue 1er Compagnie, sera le noyau du bataillon qui comprendra au fur et à mesure de leur encadrement, la 2e Compagnie Ribeil, la 3e Compagnie Sotty, la C.A. Maurois et une Compagnie de Commandement qui englobe les services de ravitaillement et auto, ainsi que les transmissions montées grâce à des prodiges d'ingéniosité et de travail.

L'armement est correct avec des mitrailleuses et mortiers, les munitions ne manquent pas. L'équipement, convenable dans la plaine en été, sera fort insuffisant à plus de 2 000 m en septembre. De nombreuses recrues ont rejoint le noyau d'anciens résistants, tous veulent se battre, mais instruction et cohésion sont faibles. Le martyr de la Maurienne, par les arrière-gardes ennemies, empêche une mise en train indispensable.

Dès le 27, la Compagnie Stéphane est repartie par les routes de l'Oisans avec la 2e Compagnie. La permission tant attendue s'est réduite à quelques heures de détente à Grenoble : ni défection, ni retard. Par le Col du Glandon, St-Jean-de-Maurienne est débordé au sud et à l'est. Après un vif combat à front renversé, la 2e Compagnie avec la 2e Section de la Ier, une section de mitrailleuse et l'appui d'un groupe des Maquis de Savoie, pénètrent dans la ville intacte le 2 septembre à 19 h que l'ennemi, comprenant un bataillon de l'Afrika-Korps, disposant de pièces de 155 et 75, se croyant tourné, a abandonné.

Par le Galibier, c'est Valloire libéré, mais le Fort du Télégraphe est solidement tenu, les patrouilles des 1er et 3e Sections se heurtent, une fois de plus, aux champs de mines. La section d'appui de « Milou » Billon, grâce à son tir au canon de 20, permet le décrochage du 9e groupe sérieusement pris à partie par les mitrailleuses.

Le 4 septembre, la tactique de débordement par les crêtes se poursuit et l'attaque repart. L'abandon de la Chapelle des Trois Croix libère l'espace du Fort. A 16 h les premiers éléments pénètrent à l'intérieur tandis que l'ennemi évacue St-Michel. Le volontaire Glé saute sur une mine et meurt quelques instants après.

Derrière, les unités américaines ont fait place à la 1re Armée Française, la jonction prévue au Désert s'effectue sans difficultés entre maquisards, évadés de France et tirailleurs. Le Colonel, commandant le 4e R.T.M. chargé de dégager la Maurienne, demande de couvrir le flanc sud de ses unités et de déborder par les hauts les bouchons ennemis s'opposant à son avance. Par Valménier et le Col des Marches (2 718 m), le barrage de La Bissorte est occupé avant sa destruction ce qui aurait provoqué le ravage de la Maurienne. Puis, la 1re et la 2e Compagnies renforcées de la C.A., franchissent les Cols de Sarrazin et du Cheval Blanc à 2 880 m et coupent le vallon du Charmaix, qui va de Modane au Fréjus et en Italie.

Une colonne muletière est surprise et dispersée au Fort du Lavoir, les Chalets d'Arplane qui dominent sont pris, tandis que des patrouilles poussent jusqu'en Vallée Etroite en Italie, aux cols des frontières et au Fort du Pas du Roc. Une action sur Modane, en liaison avec l'attaque du Sappey par les tirailleurs, est entravée par l'ampleur des champs de mines et les positions organisées dans la forêt.

A bout de souffle, elle se réduit à une activité de patrouilles qui atteindront Modane après le repli des Allemands et la destruction des entrées du tunnel ferroviaire. Vers le sud, la 3e Compagnie et la 2e Section de la 1re ont aussi pénétré dans la Vallée Etroite, depuis la région de Névache-Plampinet où elles prennent liaison avec le Bataillon de l'Oisans.

Après avoir nettoyé la montagne et pris de flanc ou à revers les bouchons ennemis des vallées, la faiblesse des appuis, la pénurie de transports et d'équipement, le manque de transmissions portées suffisantes ne permettent pas de mettre la main sur la crête frontière et ses ouvrages.

Les résultats obtenus l'étaient au prix des fatigues et des souffrances des hommes, certains en shorts et sans bonnes chaussures, pendant tout un mois de septembre assez pluvieux et en haute montagne. Après avoir été relevée, la Compagnie se regroupe à Valloires le 21 septembre et le Bataillon rejoint Uriage pour un repos bien mérité. LA GUERILLA EN MONTAGNE est terminée...

Les volontaires âgés ou inaptes à la montagne rentrent dans leurs foyers ou se dirigent sur d'autres corps, tels les aviateurs transfuges de « Jeunesse et Montagne ». Les autres, la grande majorité, formeront la 1er et la 3e Compagnies, la C.A. et la Compagnie de Commandement du Bataillon «Belledonne » constitué le 6 octobre avec l'appoint de deux Compagnies F.T.P. Bœuf et Dalmasso, sous le commandement de l'ancien Chef d'Etat-Major des F.F.I. de l'Isère, le Commandant Lecoanet, aux ordres du Lieutenant-Colonel Le Ray commandant la 3e Demi-Brigade de l'Isère de la 1re Division Alpine avec, à sa tête, le Colonel Valette d'Osia.

En décembre, le Général de Gaulle a jugé qu'elle constituait désormais une unité digne de reprendre les glorieux écussons des troupes alpines traditionnelles. Elle devient la 7e Demi-Brigade de Chasseurs Alpins de la 27e Division Alpine ressuscitée. Le Bataillon « Vercors » reste le 6e B.C.A., le Bataillon  «Oisans » devient le 11e B.C.A. et le Bataillon « Belledonne » reprend le fanion du 15e B.C.A.

Voulant constituer une compagnie de haute-montagne, le Capitanie Poitau « Stéphane » recrute de bons skieurs et alpinistes grâce à sa renommée, aux alpins et anciens de J.M. faisant partie de son noyau d'anciens qui incitent leurs camarades à les rejoindre. Il cherche à conserver à sa compagnie les vertus qui avaient fait sa gloire : un moral à toute épreuve, une grande rusticité et une extraordinaire souplesse de manœuvre, ceci dans l'enthousiasme, l'esprit de camaraderie et de chaleur humaine qui la caractérisent. Aussi, un entraînement très dur recommence dans les forêts et les montagnes connues du Massif de Belledonne, parfois dans des conditions atmosphériques éprouvantes, mais toujours dans la bonne humeur.

Début novembre, la 3e Demi-Brigade se voit confier la mission de monter la garde sur les crêtes de Maurienne, et elle quitte Grenoble la Résistante pour n'y plus revenir. La veille de son départ, c'est la visite, le 4 novembre, du Général de Gaulle et le défilé triomphal.

La, Compagnie s'installe eu Charmaix, au-dessus de Modane, avec comme poste avancé Challe-Chalet — situé à 2 200 m sur une crête en plein nord, rudimentaire et inconfortable il sera surnommé «Bidulle-Palace ». La neige tombe en abondance, rendant la montagne toujours plus hostile ; c'est alors que la guerre prend une tout autre tournure.

C'est par le mouvement et l'observation qu'on se prémunira contre les entreprises ennemies, aussi chaque homme s'adaptera rapidement à cette forme inédite de combat exigée de l'éclaireur-skieur, malgré un matériel médiocre, le vêtement chaud très insuffisant et le manque de chaussures adaptées au ski, à la marche ou à la station immobile dans la neige.

Malgré tout, c'est l'assaut continuel des patrouilles sur les crêtes, entre les cols et les postes tenus par l'ennemi, destiné à donner aux Allemands une démonstration de nos capacités guerrières pour qu'ils renoncent aux coups de main dans les vallées, et conserver ainsi un esprit offensif.

Après avoir passé près de trois mois à défendre les montagnes qui séparent Modane de Bardonnèche, la Compagnie fut envoyée au fond de la Vallée de l'Arc où les deux villages de Bessans et Bonneval étaient isolés du restant de la Maurienne par un « no man's land » d'environ 18 km.

Les Allemands occupaient en force le Col du Mont-Cenis et le fort de La Turra, l'autre partie de la vallée où étaient les bourgades de Lanslebourg et Lanslevillard étaient directement placée sous le feu de l'artillerie, et les patrouilles s'affrontaient la nuit.

Au cours des patrouilles de reconnaissance et de combat, certaines performances sportives sont réalisées : — escalade hardie de l'éperon 2 558 face au Pas du Roc, à quelques mètres des Allemands, par Lionel Terray, Chevalier et Créton ; — première ascension hivernale de la Pointe de Ronce (3 611 m) par sa face est par le Lieutenant-Colonel Le Ray avec le Capitaine Stéphane et le Lieutenant Boell, au cours de laquelle un Allemand est capturé. Il s'échappera quelques heures après en se jetant de la falaise ; — hivernales à Rochemelon et au Col de Novalèse ; — première hivernale de la Pointe de Charbonnel (3 751 m) par Terray et Chevalier.

Des rencontres violentes auront lieu au cours de raids avec bivouacs sur Suse et Novalèse en Italie, où des liaisons sont établies avec les partisans italiens, particulièrement au Lac de la Rousse où Robert Buchet « Bill » trouve la mort.

Pendant près de six mois, sans être relevée, comme l'ensemble du Bataillon, la Compagnie accomplit des missions dans des conditions de temps et de neige qui s'avéreraient impossible dans des circonstances normales. Ainsi, le Chasseur Maurice de la Guéronnière « Guillou » un vieux maquisard sera pris dans une avalanche.

La Turra depuis le Col des Randouillards

Pendant les premiers jours d'avril, la Compagnie quitte le secteur Bonneval-Bessans pour aller occuper Lanslebourg et prendre position dans les forêts situées sous le Col du Mont-Cenis et du fort de La Turra. Lorsque les premiers symptômes d'attaque alliée en Italie se manifestent, le Général de Corps d'Armée lance sa première offensive générale de printemps. La 7e Demi-Brigade est affrontée à des adversaires opiniâtres : le 3e Bataillon du 100e Gebirgsjager, unité montagnarde d'élite de la 5e Division, renforcé de formations allemandes et italiennes dont deux Compagnies de parachutistes de la Division Folgore, unités fascistes cruelles et sauvages.

La 1 re Compagnie a pour objectif la main-mise sur le Pas du Chapeau, la Pointe de la Haie et le harcèlement de Novalèse. Elle ne pourra remplir complètement sa mission, malgré les valeureux et meurtriers combats des S.E.S. du 11e B.C.A. de la Pointe de Bellecombe et du Mont-Froid et de la S.E.S. de la 3e Compagnie du 15e à la Pointe de Cléry, les Allemands restent maîtres des positions leur permettant ainsi de progresser sur le Col et le Plateau du Mont-Cenis.

Ceres ou Suze

Dans la péninsule italienne, la Wechmacht submergée, reflue vers le nord dans l'espoir de se regrouper sur les montagnes d'Autriche, voire même de demander asile en Suisse. Les combattants du Front des Alpes désireux de rejoindre le gros de leur armée, abandonnent leurs positions après les avoir parsemées de mines et arrosé toutes nos concentrations de leurs réserves de munitions. Le Sergent Henri Jacquet est mortellement blessé dans une traversée de l'Arc à Lanslebourg. Stéphane lance toute sa Compagnie à la poursuite des fuyards. Marchant très loin en avant du reste de l'armée française, combattant aux côtés des partisans italiens, elle réussit à garder le contact avec l'ennemi pratiquement jusqu'à Turin, dans l'enthousiasme et le délire des populations piémontaises, lorsque, le 8 mai, l'Allemagne nazie capitule sans condition.

Nos grands alliés ne semblent pas goûter la présence des troupes françaises dans les vallées italiennes, la Compagnie suit donc le sort de son bataillon. C'est l'installation à Vallouise et à Ailefroide dans le Massif de l'Oisans, puis l'intermède du défilé du 18 juin 1945 sous l'Arc de Triomphe, une prise d'armes à Prabert, le regroupement de la Division dans le Jura, puis l'occupation en Autriche dans le Voralberg à Rankweil jusqu'au 15 avril 1946, date de la dissolution du 15e B.C.A.

C'est Stéphane lui-même qui souligne cette échéance en ces termes :

Et maintenant, la Compagnie Stéphane est morte. En novembre 43, au Désert de Valjouffrey, notre libre volonté, une énergie farouche, l'effort de vous tous, volontaires pour la même mission, la firent surgir du néant, et depuis, d'alertes en embuscades, de manœuvres d'entraînement en combats, elle a poursuivi une longue route jusqu'à Turin, jusqu'en Autriche... Route arrosée de beaucoup de sueur, de sang aussi... Mais ceux qui l'ont parcourue en entier, jusqu'à la victoire, n'ont pas oublié ceux qui sont tombés en chemin ; leur souvenir a présidé à toutes nos cérémonies jusqu'aux dernières.

GALLAIS Edmond, « Ali », mort en déportation.

MOUNIER Dominique, dit «Toubib », tombé le 24 juin 1944, près de Corps (38).

LAGIER André, dit « Dédé », tombé le 29 juin 1 944 à St-lsmier (38).

LOISEAU Marcel, dit « Aymard », tombé le 13 juillet 1944, route du Col de la Croix-Haute (38).

SEVERAC Pierre, dit « Pat », tombé à Vortz, le 17 juillet 1944 (38).

Lieutenant de QUINSONAS, dit « Lieutenant Fiancey », tombé ici même le 27 juillet 1 944 (38).

MIRANDE Lucien, dit « Lulu », Compagnie Bernard, tombé sur les pentes du Mont Jallat, le 30 juillet 1944 (38).

PICHOT Eugène, dit « Gégène », Compagnie Bernard, tombé sur les pentes du Mont Jallat, le 30 juillet 1 944 (38).

MARIETTA Jean, dit «Jeannot », tombé à St-Même, le 13 août 1 944 (38).

CHABOT Fernand, dit « Champo », tombé au tunnel des Echelles, le 13 août 1 944 (73).

RIPERT Yves, dit « Petit », tombé au tunnel des Echelles, le 13 août 1944 (73).

LAMORLETTE Jean, dit « Taupin », tombé à la Bastille, le 22 août 1 944 (38).

 BARBIERI Jean-Paul, dit « Zizi », tombé à la Bastille, le 22 août 1944 (38).

 GLE Georges, tombé au Fort du Télégraphe, le 12 septembre 1 944 (73).

 

CAMPAGNE HIVER 1944-1945

DE LA GUERONNIERE Maurice, « Guilloux », Termignon (73).

COVILLE J.-Jacques, Bessans (73).

JACQUET Henri, Lanslebourg (73).

BUCHET André, « Bill », Bessans (73).

CABROL Paul, Bessans (73).

N'oublions pas plusieurs de nos anciens, dont le plus illustre d'entre eux, le Capitaine POITAU, qui sont tombés « morts pour la France » sur les théâtres d'opérations extérieures.