TEMOIGNAGE de JEAN HOLLARD

recueilli et rédigé par Aleth Brunet-Mignot, professeur d'allemand à l'Université Inter-Ages du Dauphiné, en 2019

 

 

J’ai rejoint la compagnie Stéphane,  à l’époque en Chartreuse, au cirque de Saint Même, qui était son point de départ pour des opérations ponctuelles, après avoir été rattaché au Massif de Belledonne.

Je suis arrivé le 14 août 1944, ayant déjà un frère dans la compagnie et je suis arrivé avec un autre frère. J’avais déserté de « Jeunesse et Montagne » qui était un organisme parallèle aux chantiers de jeunesse, où j’ai été incorporé d’office par la classe (classe 43). Ces centres ont été dissous par les Allemands en 1944, parce qu’ils voulaient que tous les hommes travaillent au STO. Tout le centre a été déplacé progressivement du Dévoluy jusqu’à Bordeaux pour installer une usine d’aviation souterraine.

J’avais prudemment mis de côté des vêtements civils chez la postière du village et un matin, j’ai dit à notre chef de chantier de jeunesse que je désertais. Il était d’accord avec moi. Il a dû quand même signaler ma disparition et les gendarmes sont arrivés à Brignoud, au domicile de notre père pour savoir où j’étais. En fait,j’étais déjà dans le Massif de Belledonne, en sécurité, dans un endroit qui n’était,  bien sûr, pas officialisé.

 

La compagnie était dirigée par un jeune capitaine de 25 ans, qui avait profité d’une permission en France, alors qu’il était au Maroc, pour rejoindre, avec quelques jeunes, les Alpes, en novembre 1943 ; c’était le premier camp et le début des opérations de la compagnie.

Pour situer la Résistance :

Le 11 mai 1944 a eu lieu le premier rassemblement des 3 maquis du Grésivaudan (« Stéphane », une section de la « compagnie Bernard » et le groupe franc «  Henri »). Il s’est formé une coordination des actions conduites dans Belledonne et la Chartreuse. Dès l’instant où nous avons été acceptés dans la compagnie, nous avons été soumis à un entraînement intensif, signalant des opérations entreprises pour essayer d’attirer les Allemands vers la Chartreuse après les opérations du Vercors.

Le 15 août 1944, les Alliés débarquent dans le Midi. Cette nouvelle arrête le projet des Allemands, qui avaient commencé à encercler la Chartreuse, pour anéantir les maquis qui pouvaient encore y exister.

Il faut signaler que les Allemands pensaient que nous étions 2000 dans la Chartreuse alors que les effectifs maximum étaient de 200 ! C’était dû à la technique du capitaine qui voulait être partout avec très peu d’hommes.

Dans les moments de répit, nous avions quelques réunions avec le capitaine pour débattre des questions concernant la conduite de certains qui avaient entraîné un repli de toute urgence de tout un groupe pour éviter un désastre. On disait qu’un ou deux avaient reculé devant la crainte d’être tués. Si cela avait eu lieu pendant la guerre, ils auraient été traduits devant un conseil de guerre et peut-être exécutés ; c’était l’avis du capitaine. Nous étions donc réunis pour savoir ce qu’il convenait de faire. En fait, il n’y a pas eu de sanctions, sinon celles de corvées disciplinaires pour la compagnie.

Notons aussi que le rôle de la compagnie était de faire la police des maquis. Il y avait un peu partout des bandes de brigands qui prétendaient travailler pour les maquis alors qu’en réalité, ils venaient pour les dévaliser et dévaliser les fermes, en recherche principalement de nourriture. Certains d’entre eux nous ont rejoints et sont restés avec nous jusqu’à la fin de la guerre. On essayait de les rétablir, disons, dans une conscience plus vertueuse !

Notre compagnie comptait à peu près 150 hommes mais nous n’étions pas tous ensemble. L’Etat-Major était là mais certaines actions, par exemple, étaient conduites entre Voreppe et Les Echelles, de ce fait, nous étions un peu disséminés.

Les hommes qui formaient la compagnie étaient d’origines très diverses : étudiants, salariés, immigrés maghrébins et cette richesse de cultures était très positive pour la bonne marche de la compagnie.

La compagnie était opérationnelle depuis 1943. Les hommes avaient donc fait pas mal d’actions avant mon arrivée. Stéphane, âgé de 25 ans, était arrivé à Villard Notre Dame, petit hameau au-dessus de Bourg d’Oisans, avec ses quelques jeunes (ils étaient 7) Il a surpris des maquisards de Villard en pleine nuit et ça a été le début de la compagnie.

Il était déjà gradé à l’époque, pas toujours d’accord avec sa hiérarchie et c’est pour cette raison qu’il avait été éloigné de France et envoyé au Maroc.

Ils sont d’abord allés dans le Massif de Belledonne, là où l’un de mes frères les a rejoints. Certaines fermes de la vallée du Grésivaudan nous ont aidés pour le ravitaillement. Quelquefois, des convois de ravitaillement qui devaient partir en Allemagne étaient aussi  détournés. C’est ainsi qu’on voyait par exemple arriver en Chartreuse un camion rempli de confitures ou de conserves !

Nous dormions dehors, mais c’était le mois d’août quand je suis arrivé. Il y avait aussi quelques granges qui permettaient à certains de se mettre à l’abri.

Nous nous sommes installés au-dessus de St Egrève, dans le but d’empêcher le repli des Allemands, ce qui était peut-être un peu présomptueux parce que nous étions à 10 km à vol d’oiseau et je ne sais pas si des tirs auraient pu arriver jusque  là. Je me souviens du passage d’un camion de la Croix Rouge : nous avons appris le surlendemain que c’était toute la Gestapo de Grenoble qui avait trouvé ce subterfuge pour quitter la ville.

Nous avons quand même libéré Grenoble le 21 août. Nous sommes entrés dans Grenoble mais nous n’y sommes pas restés très longtemps parce que le maquis de la Savoie nous a appelés à l’aide. Nous sommes passés par le refuge de la Pra parce qu’on nous avait signalé que des Allemands étaient encore là, mais en fait, il n’y avait plus personne. Ils avaient laissé quelques traces (des paquets de cigarettes) mais ils avaient eu le temps de rejoindre la vallée de l’Eau d’Olle.

Nous sommes allés, en car ou à pied, au-dessus de St Jean de Maurienne, par le col du Gurandon. Les Allemands occupaient toujours St Jean de Maurienne et nous avons compté 350 obus qui arrosaient la montagne. Nous ne pouvions pas faire grand-chose mais les Allemands sont partis petit à petit. Dans la nuit, une première section est entrée dans St Jean de Maurienne. C’étaient les « grands libérateurs » mais les Allemands étaient partis !

Cela a mis fin à notre histoire de maquis, mais pas encore à notre histoire militaire parce que les Allemands occupaient encore la Maurienne, sur les crêtes franco italiennes et notre but était, sans passer par la vallée, de les bloquer dans des cols au-dessus de Modane, par exemple le col du Fréjus. Mais les Allemands ont réussi à faire franchir à tous leurs convois motorisés la frontière, par le tunnel du Fréjus. Ils ont mis des portes sur les rails et une fois qu’ils sont passés et arrivés en Italie, ils ont tout fait exploser pour éviter qu’on les poursuive.

Ensuite, les choses ont été différentes mais c’est toujours le capitaine Stéphane qui avait la même tactique que pendant la Résistance. On l’appelait «  la compagnie jamais ici, toujours ailleurs », parce qu’on bougeait en permanence.

Nous avons donc  fait une première opération au col du Fréjus et avons passé tout l’hiver là, en partie au-dessus de la Vallée Etroite (vallée qui était italienne et est devenue française).

Nous étions en Maurienne, et un peu partout dans des coins pas très faciles d’accès parce que les Allemands, entre temps, avaient occupé toutes les fortifications françaises (les forts au-dessus de Modane). Nous, nous étions en-dessous et nous nous logions comme nous pouvions, parfois dans de petites cabanes de bergers à 2000 / 2500 mètres, en plein hiver. Nous sommes restés au-dessus de Modane, au Charnessy, et au mois de février, nous sommes partis  à Termignon, dans la haute vallée de la Maurienne. L’idée stratégique était de créer un abcès de fixation à Bessans pour pouvoir gagner plus rapidement la frontière. Avant notre installation, il a fallu faire toute une série de portages entre Termignon et Bessans, en passant sur les lignes allemandes. Les Allemands, de leur côté, faisaient des patrouilles et il fallait constamment jouer à cache-cache. Nous avons réussi à installer toute la compagnie à Bessans, entre février et la Libération, c’est-à-dire au mois de mai. Le 4 mai, c’était la fin de la guerre en Italie.

Il y avait quelquefois des rencontres inattendues parce qu’en plein hiver, le col de l’Iseran est fermé. Il n’y a pas de possibilité de passer autrement qu’à ski.

Le commandant Leray, qui était le chef de la division, était venu une fois en inspection ; on avait envoyé une patrouille à sa rencontre et on s’est trouvé nez à nez avec une patrouille allemande. Nous avions les mêmes uniformes finalement ! Chacun s’est trouvé effrayé et  a fait demi-tour, c’était un peu cocasse !

Le capitaine était très autonome, il y avait une coordination lyonnaise pour la région Rhône-Alpes mais il avait carte blanche.

On a beaucoup parlé du Mont Froid ,où il y a eu des batailles avant la fin de la guerre mais ce n’était pas notre compagnie, c’était un bataillon de Chasseurs Alpins (le 6ème) qui a tenté une attaque et il y a eu beaucoup de pertes en hommes.

Je me souviens aussi du prêtre  qui était venu à ski célébrer la messe de Noël à la compagnie Stéphane, dans un chalet à 2500 mètres d’altitude.

Nous étions voisins des Allemands ; ils étaient à 500 mètres et surveillaient notre situation…

Nous étions là aussi pour orienter les tirs d’artillerie qui étaient installés à Modane et qui devaient faire des opérations de bombardage en Italie, sur les Allemands.

 

 

Après la guerre…

 

           J’avais appris l’allemand au lycée.

Après la guerre, en 47 ou 48, j’avais fini mes études secondaires au Chambon sur Lignon, et nous faisions des camps d’été. Le pasteur du coin, qui faisait partie de l’American Service, avait organisé un rassemblement d’étudiants à Berlin, dans le secteur américain, avec beaucoup d’étudiants des pays nordiques et bien sûr, beaucoup d’Allemands.

C’était avant la dissolution du conseil municipal de Berlin et avant la construction du Mur.

Nous sommes restés là 3 semaines, avec des gens intéressants, pour la plupart de gauche mais pas seulement et c’étaient les premiers contacts que les Allemands avaient depuis la fin de la guerre.

Nous avons parlé de politique et d’économie. La radio allemande est même venue nous interviewer.

 

Sinon, j’ai eu des contacts grâce au Queyras où nous habitons une partie de l’année. Le Queyras  a été une terre de refuge pour les protestants.

En 1985, nous avons voulu fêter le tricentenaire de la Révocation de l’Edit de Nantes. Nous avons voulu inviter tous les étrangers qui avaient habité dans le Queyras et l’avaient quitté. Nous avons donc pris contact avec des gens en Algérie, au Maroc, en Allemagne. C’est ainsi que 3000 personnes se sont réunies pendant 15 jours dans la région. Il y avait beaucoup d’Allemands de Berlin, mais aussi de Nuremberg et d’Essen. Nous avons noué des contacts avec des Allemands et tenu à les maintenir.

L’association culturelle du Queyras a organisé des voyages en Allemagne et nous faisons des échanges réguliers.

 J’ai d’ailleurs eu une expérience personnelle  d’opération et d’hospitalisation 20 jours à Heidelberg, où j’ai eu l’occasion encore de parler allemand !

L’anniversaire de la Révocation de l’Edit de Nantes a été largement dépassé et nous nous sommes orientés vers une fraternisation nécessaire avec les Allemands.